Compte rendu du séminaire L’histoire de l’archéologie au prisme du genre

Le second séminaire de l’année 2024 du laboratoire junior ArchéOrigines a eu lieu le 18 avril à partir de 14h dans la salle Joseph Reinach, au 4e étage de la Maison de l’Orient et de la Méditerranée de Lyon.

Après une courte introduction d’Anastasia Aksenova au nom du laboratoire junior, la première intervention proposée par Aurore Béréziat et Hélène Jamet a porté sur les missions et actions du pôle « parité-égalité » menées au sein de la MOM. Ses missions sont au nombre de trois et consistent en la diffusion d’informations auprès des personnels de l’unité, la sensibilisation au domaine de l’égalité professionnelle et l’orientation vers les services compétents des tutelles. Quant à leurs actions, elles sont multiples : citons notamment l’exposition « Archéo-sexisme », la sensibilisation des responsables de missions de terrain aux questions de sexisme et de discrimination, le label « chantier éthique », la mise en lumière des missions archéologiques dirigées par des femmes, le jeu « Sexisme sans façon » réalisé pour la journée du 8 mars ou encore la campagne d’affichage au rez-de-chaussée de la MOM.

Aurore Béréziat et Hélène Jamet

Puis, Isabelle Algrain et Laura Mary nous ont présenté le collectif « Paye ta Truelle ! ». Celui-ci est né en 2017, compte quatre membres et vise deux objectifs principaux : d’une part valoriser l’archéologie du genre et, de l’autre, lutter contre le sexisme et les discriminations avec plusieurs actions telles que la mise en place de l’exposition « Archéo-sexisme », le label « chantier éthique » ou un petit guide des menstruations sur les chantiers de fouilles. Outre ces activités, ce collectif a également publié des articles scientifiques et des ouvrages, donné des conférences, dispensé des cours, enregistré des podcasts et mis en place des formations.

Les deux oratrices nous ont ensuite présenté le volume Introduction à l’archéologie du genre paru en début d’année 2024. Dans l’introduction de ce livre, le genre est caractérisé et l’archéologie du genre est définie. La première partie nous expose le développement de l’archéologie du genre et des identités à travers le monde, la deuxième partie s’attarde sur l’interprétation du passé au prisme du genre et la troisième partie évoque la place des femmes et des minorités au sein de la profession d’archéologue.

Les deux intervenantes nous proposent une troisième communication intitulée Déterrer l’invisible : des premières fouilles aux fondements de l’archéologie du genre. Elles nous montrent que l’histoire de l’archéologie est souvent écrite par les hommes et que ce n’est qu’au début des années 1990 que les femmes commencent elles aussi à l’écrire. C’est l’entrée des femmes dans la profession qui va permettre la diffusion de nouvelles théories, par exemple Johanna Mestorf traduit en allemand dans la deuxième moitié du XIXe siècle les ouvrages des archéologues scandinaves. L’accès des femmes aux université se produit à partir du dernier quart du XIXe siècle, mais de nombreuses archéologues restent célibataires ou travaillent pour leur mari. D’autre part, l’accès aux chantiers de fouilles a souvent été compliqué par l’aspect difficile et physique du chantier, par exemple l’American School of Classical Studies at Athens accueille des femmes dans son institution, mais pas sur ses chantiers. Harriet Boyd-Hawes est probablement la première femme à diriger un chantier de fouilles en Méditerranée à Kavousi (Crète) en avril 1900. Dans l’entre-deux-guerres, c’est surtout le nombre de femmes dans les musées qui augmente, d’autant plus que de nombreux hommes étaient morts lors de la Première Guerre mondiale. Dans les années 1930, Agatha Christie participe aux campagnes de fouilles de son mari et l’aide pour la logistique, les inventaires ou le dessin. Pour résumer, les hommes dirigent le chantier proprement dit et les femmes s’occupent de la post-fouille. On note également une division sexuée du travail : les hommes étudient l’architecture ou l’armement, tandis que les femmes travaillent sur le textile ou la parure, c’est la raison pour laquelle ces dernières trouvaient plus facilement un emploi dans les musées. De la même manière, il y avait peu de femmes dans les postes prestigieux des instituts de recherche à l’étranger (l’École française d’Athènes n’accueille sa première membre qu’en 1956) et leurs salaires étaient plus faibles, alors que leurs charges de cours étaient plus élevées. Elles étaient également plus nombreuses à publier, mais dans des revues locales ou peu réputées. L’effet Matilda, c’est-à-dire le déni ou la minimisation du travail des femmes dans la recherche, est aussi présent en archéologie. Ainsi, de nombreuses épouses d’archéologues ont écrit de grandes parts des publications de leur mari sans nécessairement être créditées. Il existe même des cas plus graves, comme par exemple le plagiat de Mary Ross Ellingson par David Moore Robinson lors des fouilles d’Olynthe. La situation des femmes évolue lentement dans l’après-guerre, mais plus on monte dans les niveaux d’étude, plus les femmes sont rares. Les femmes étaient au laboratoire et les hommes sur le terrain. Il y a une vision patriarcale plaquée sur le passé qui s’exprime aussi dans la discipline archéologique.

Linca Kucsinschi, L’archéologie au féminin, à l’ombre de Vasile Pârvan. Étude de cas sur un fonds photographique

La cinquième intervention de ce séminaire est offerte par Linca Kucsinschi et intitulée L’archéologie au féminin, à l’ombre de Vasile Pârvan. Étude de cas sur un fonds photographique. Cette analyse s’appuie sur la numérisation d’une partie des archives photographiques de l’Institut d’archéologie « Vasile Pârvan » de Bucarest et vise à nous présenter la place des femmes au sein de l’archéologie roumaine dans le premier quart du XXe siècle. Tout d’abord, un point sur le féminisme dans ce pays au début du XXe siècle est fait, notamment à travers la figure de la reine Marie de Roumanie ainsi que sur les femmes dans le monde académique roumain avant et après la Première Guerre mondiale. Ensuite, c’est la période d’activité de Vasile Pârvan (1909-1927) où il est souligné que celui-ci introduit le modèle humboldtien dans l’université roumaine. C’est également à ce moment que se professionnalise l’archéologie et qu’un lien étroit se noue entre pratique archéologique de terrain, enseignement supérieur et conservation muséale, d’autant plus que le musée et l’université se trouvaient dans le même bâtiment. L. Kucsinschi évoque ensuite le matériel photographique utilisé (un Manufok-Tenax) ainsi que les deux photographes sollicités : un employé du musée, Dionisie Păcurariu, et un photographe professionnel, Nicolae Țațu. La plupart des photographies mentionnées ici ont été prises dans la salle du séminaire d’histoire antique et d’épigraphie de l’université de Bucarest. Une des pièces emblématiques de cette série est cette photographie de groupe prise en 1924 à l’occasion de la visite de Jérôme Carcopino à Bucarest. On y voit l’historien français aux côtés de Vasile Pârvan et d’étudiants dont plusieurs femmes, certaines deviendront de brillantes archéologues telles Ecaterina Dunăreanu ou Hortensia Dumitrescu, les deux étant d’ailleurs mariées à des archéologues. La présentation se conclut sur quelques photographies d’étudiantes qui posent dans différentes salles de l’université, photographies réalisées à la demande de Vasile Pârvan, lui qui a formé de nombreux disciples.

L’avant-dernière communication intitulée Harriet Boyd Hawes : trajectoire d’une archéologue sur le terrain en 1900 est prononcée par Manon Dupuy. Orpheline de mère, élevée par son père et ses quatre frères, elle est diplômée du Smith College à Northampton dans le Massachusetts en 1892 où elle a comme modèle Amelia Edwards. Puis, elle est élève de l’American School of Classical Studies at Athens et décide de rester en Grèce plutôt que de poursuivre ses études en Angleterre. Infirmière durant la guerre gréco-turque de 1897, elle entreprend ensuite un voyage d’étude à dos de mulet en Crète accompagnée d’un guide et d’une cuisinière où il visite plusieurs sites de fouilles pour y rencontrer des archéologues. Elle ne veut pas être traitée selon son rang, mais veut apprendre des paysans, son journal regorge d’ailleurs d’anecdotes sur ses interactions avec les habitants, son passé d’infirmière et sa maîtrise de la langue lui sont d’un grand secours. À la suggestion d’Arthur Evans, elle fouille dans la région de Kavousi en 1900 où elle découvre des vestiges de l’époque minoenne. Entre 1901 et 1904, elle fouille à Gournia et met au jour un important site minoen. Elle dirige une importante équipe d’une centaine de personnes et s’occupe de beaucoup de choses, car ne déléguant pas. Beaucoup de femmes la secondent, notamment Edith Hall Dohan, une collègue du Smith College. En 1902, elle entame une tournée de conférences autour des États-Unis. Sa carrière démontre la difficile ascension des femmes dans le milieu académique et la difficulté à y rester.

Enfin, la dernière intervention est faite par Laure Bézard et s’intitule Marguerite Yon : une grande dame de l’archéologie. Il s’agit d’une rétrospective sur le parcours scientifique de Marguerite Yon, spécialiste de Chypre et du Proche-Orient ancien. Nous ont été tout d’abord présentées quelques dates biographiques, puis les différentes missions auxquelles elle a participé : Salamine de Chypre (direction en 1972-1974), Kition Bamboula (direction en 1976-2007), Ras Shamra Ougarit (direction en 1978-1998). Des détails sur chaque mission ont été apportés et la communication s’est conclue sur un aperçu du versement des archives de Marguerite Yon aux Archives du département du Rhône et de la métropole de Lyon.