Compte Rendu : Séminaire Histoires d’archéologies : du proche et du lointain. Découvertes, pratiques et construction des savoirs

La dernière activité d’ArchéOrigines pour l’année 2023 s’est déroulée à la Maison des Sciences de l’Homme à Dijon dans le cadre d’une collaboration entre notre laboratoire junior et l’UMR ARTEHIS de l’université de Bourgogne. Chaque année, les étudiants du master Histoire de l’Art, parcours “Archéologie, Images, patrimoine” assistent à un séminaire sur le thème de l’histoire de l’archéologie. Le séminaire “Histoires d’archéologies : du proche et du lointain” a permis en outre de clore la première année des activités du laboratoire junior. Dans ce cadre différent, de nouvelles discussions ont eu lieu sur des éléments déjà abordés, comme l’importance des sources d’archives et les nationalismes en archéologie.

Le séminaire a débuté par une introduction des organisateurs Arianna Esposito, maîtresse de conférences à l’université de Bourgogne, et Adrien Frénéat, membre du laboratoire junior. Ensemble, ils ont rappelé l’histoire du séminaire et l’émergence de l’histoire de l’archéologie à l’université de Bourgogne. Comme dans le laboratoire junior ArchéOrigines, ce champ de recherches est un thème fédérateur au sein d’ARTEHIS qui aide aussi à l’organisation de ce séminaire thématique.

Le premier intervenant, Christian Mazet, membre de l’École française de Rome, communique sur « Vulci, les antiquités grecques et étrusques entre archives, musées et fouilles ». Il fait ainsi une synthèse des premières explorations du site archéologique de Vulci dans la région italienne du Latium et des premières découvertes de vases grecs sur le site. Christian Mazet s’est concentré ici sur la présentation des collectionneurs Lucien Bonaparte (1775-1840) et de sa femme Alexandrine de Bleschamp (1778-1855). Après avoir mentionné la campagne de fouilles de Vulci de 1828-1829 lors de laquelle ont été mises au jour environ 4000 antiquités, l’intervenant dresse le contexte historique de ces fouilles à travers la présentation du milieu antiquaire romain et en s’appuyant sur les publications de Lucien Bonaparte. Par là, C. Mazet présente la diversité des sources sur lesquelles on peut travailler pour ce genre d’études. Il évoque ensuite la mise en place d’un premier musée privé pour conserver et exposer le produit des fouilles. Ces collections, très dispersées, ont été vendues aux enchères sur le marché de l’art européen afin de renflouer les caisses des époux Bonaparte. Les États pontificaux – en vertu d’un décret rendu en 1820 selon lequel ceux-ci ont un droit de préemption sur les antiquités mises en vente afin de reconstituer les collections vaticanes ruinées par les guerres napoléoniennes – voulaient en acheter les objets, mais à un prix bien moindre que celui fixé par les propriétaires, ces derniers décidant alors de se tourner vers le marché parisien de ventes aux enchères. Sept ventes ont lieu entre 1834 et 1849, lesquelles ont disséminé plus de 1200 œuvres à travers l’Europe. En dernier lieu, C. Mazet insiste sur l’importance de l’analyse des sources, imprimées ou manuscrites, telles que les carnets de fouille ou les catalogues de ventes. Grâce à des outils numériques comme certains systèmes de modélisation – ici le site “Sur la piste des œuvres antiques” – le parcours de ces antiquités peut être visualisé. Plus d’une vingtaine de musées dans le monde conserve certains de ces objets. En s’appuyant sur les sources d’archives, le parcours des antiquités peut être davantage caractérisé. Cette démarche permet, entre autres, d’aborder raisonnablement les problématiques de restitutions.

La deuxième intervention est faite par David Bardey, post-doctorant à l’Université de Namur. Il aborde lors de ce séminaire “Les travaux d’Ernest Petit. Une écriture méthodique teintée de romantisme ?”. D. Bardey explore les pratiques d’écritures d’une figure locale du XIXe siècle, Ernest Petit (1835-1918), érudit bourguignon et rentier devenu historien. Celui-ci est le premier à proposer une véritable histoire des ducs de Bourgogne à travers son vaste ouvrage intitulé Histoire des ducs de Bourgogne de la race capétienne (1885-1905, neuf volumes). David Bardey montre ainsi de nombreuses photographies de l’atelier de travail d’Ernest Petit dans le prieuré de Vausse (Yonne). Ses intérêts scientifiques, sa méthode historique, ses réseaux savants sont également présentés. Ernest Petit accorde une importance particulière aux faux documents d’archives. L’intervenant insiste enfin sur la part de l’histoire régionale dans les travaux d’Ernest Petit. Ce dernier reçoit des influences du courant romantique et de l’école méthodique. Le caractère de ce premier historien des ducs de Bourgogne, complètement autodidacte, est abordé. À la recherche d’une reconnaissance institutionnelle, il semblait mal à l’aise vis-à-vis de son statut d’amateur. Il a néanmoins reçu le prix Gobert de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres.

L’après-midi s’est ouverte avec la communication d’Anastasia Aksenova, docteure en histoire de l’université Lyon 2 et membre fondatrice du labo junior ArchéOrigines. Avec son intervention sur la “Construction de l’Antiquité dans les représentations de voyageurs et savants russes en Égypte au XIXe siècle”, l’intervenante présente une image de l’antiquité égyptienne par le biais de récits de voyageurs russes en Égypte. De cette façon, elle introduit certains éléments tels que le contexte politique et diplomatique entre la Russie et l’Égypte. Le cadre culturel est aussi abordé afin de mettre en perspective l’atmosphère de l’époque. Anastasia Aksenova considère le récit de voyage comme une source historique dans son travail. Ces récits subjectifs et souvent romanesques marquent les opinions et les ressentis des voyageurs. La part sensible des voyages peut ainsi davantage être saisie et éclaire d’un jour nouveau le concept d’altérité et la grande question de l’Orientalisme. A. Aksenova appuie sa présentation sur des exemples concrets de voyageurs du XIXe siècle comme Avraam Norov ou les frères Tchernetchovi. Enfin, une dernière partie ouvre sur le rôle des objets égyptiens dans le développement de l’étude de l’archéologie et les enjeux nationalistes.

Laure Bézard, archiviste à la Maison de l’Orient et de la Méditerranée, communique également lors de la session de l’après-midi. Elle développe les relations complexes entre “Archives et données de la recherche : un duo gagnant pour l’histoire de l’archéologie”. L’intervenante fait ainsi une présentation générale des archives et de leurs principes en rappelant les types, leurs formes et leurs rôles au sein de la recherche. Laure Bézard souhaite montrer aux étudiants la diversité du travail en archives et les différents outils à utiliser. Elle aborde ensuite les règles de communicabilité des archives ainsi que la manière de rendre les données exploitables (plan de gestion de données, règles de nommage, arborescence, format et traitement de données ainsi que les modes de stockage). En présentant les portails d’archives, Laure Bézard dresse ainsi un panorama des états de l’archive publique en France, source primordiale de l’historien de l’archéologie.

La dernière intervention du séminaire est celle d’Adèle Chevalier, doctorante au Muséum national d’histoire naturelle. Elle a pour objet “La réception du paléolithique indochinois au Musée d’ethnographie du Trocadéro (1920-1930), Approche matérielle de l’histoire de la préhistoire”. L’intervenante présente rapidement la création du Service géologique de l’Indochine en 1898 qui marque le début de l’institutionnalisation des sciences et des savoirs dans l’administration coloniale par Paul Doumer (1857-1932). Le contexte colonial est inhérent à sa thématique de recherche, et s’inscrit aussi dans le cadre complexe missions scientifiques en Indochine. Elle résume l’histoire des études préhistoriques en milieu extra-européen. A. Chevalier montre les discordances qui apparaissent dans le cadre des fouilles réalisées sur des sites comme Samrong Sen ou au Haut Laos. Les archéologues impliqués dans ces espaces sont présentés, comme Henri Mansuy (1857-1937) ou Madeleine Colani (1866-1943). A. Chevalier insiste sur l’importance et la difficile manipulation de la terminologie et des nouvelles typologies des industries lithiques dans ce contexte spécifique (Bacsonien et Hoabinhien). La dernière partie de cette communication permet d’interroger les enjeux scientifiques, politiques et institutionnels de la réception de la préhistoire indochinoise en France métropolitaine ainsi que les luttes de pouvoir quant à la délimitation du champ de l’ethnologie. Les objets sont conservés par plusieurs institutions comme le Muséum d’histoire naturelle de Paris, le Musée de l’Homme et la Société d’anthropologie de Paris.

L’objectif de ce séminaire pluridisciplinaire était d’ouvrir les étudiants de master à de nouvelles recherches et pratiques de chercheurs. Quelle que soit la nature de l’intervention, toutes ont démontré l’importance des sources archivistiques pour l’histoire de l’archéologie. Imprimées ou manuscrites, ces sources variées éclairent le rôle des personnalités, antiquaires et archéologues. L’approche biographique et l’échelle de l’individu ont eu une place particulière lors de cette journée. Ces études “micro” ne s’opposent finalement pas aux approches “macro”, comme en témoigne la diversité des outils numériques présentés à cette occasion : système géoréférencés, bases de données et outils de recherches européens. Il convient désormais d’accorder ces éléments divers pour appréhender pleinement ces histoires d’archéologies, du proche et du lointain.

Le 12 décembre 2023